Sculpture

Dans mon travail sculptural, je ne cherche pas à aborder une thématique spécifique et parfaitement définie. Il me semble primordial que ce soit le public qui fasse l’œuvre, c’est à-dire que la sculpture sortie de l’atelier ne m’appartient plus et c’est le spectateur qui est libre de la charger de sens. Donc cadrer mon travail au sein d’un thème défini relèverait de l’illustration d’un propos. A l’inverse, je cherche à créer un « à côté », une poésie libre de soulever des questionnements.

Pour se faire, je dois donc limiter la représentation subjective et soustraire aux œuvres leurs symboles. Formellement, je m’inspire du Minimalisme. Les volumes simples sont à appréhender immédiatement pour ce qu’ils sont, ne produire aucune histoire émotionnelle pour que le contenu de la sculpture ne soit que la sculpture elle-même. Une sculpture minimale se limite à l’essentiel et supprime toute intervention de la main de l’auteur.

Cependant je recherche l’accident poétique. Certains mathématiciens voient leur discipline relevant du beau, à voir par exemple « l’élégance » d’une équation. La Phénoménologie m’a permis de voir que la mathématique est un langage, une manière de « dire » le monde et comme tout langage, il est plastique et matière à la poésie. C’est dans cette idée et grâce à ce langage que je conçois mes formes, non pas pour utiliser quelconque rapport de proportion à la recherche de la construction du beau, mais pour faire émerger une poésie formelle en distordant les lignes et les angles, en juxtaposant les codes au hasard.

J’ai choisi d’utiliser la céramique pour ce qu’elle demande en connaissances, temps, rigueur et maitrise. C’est également une revendication artistique que de ne pas distinguer l’artiste et l’artisan. « L’art et la technique, une nouvelle unité » était l’une des devises du Bahaus et en ça je considère que mon travail consiste à proposer des œuvres artistiques fonctionnelles, utilitaires au sens où elles servent à l’esprit.

 

Le travail de l’argile me permet de prendre part à l’histoire ancestrale des arts du feu. A ce titre, la céramique prend un sens profond dans la conceptualisation de mes œuvres. En effet, je pense souvent au monolithe du film 2001 l’odyssée de l’espace, objet sans âge et énigmatique qui fait nous poser plus de questions sur nous-même que sur la nature et la provenance de l’artefact. Aujourd’hui, les principaux vestiges des civilisations passées sont les céramiques que l’on retrouve. Ce matériau ne bouge pas avec le temps, il permet de repousser un peu l’idée d’impermanence et justement d’entrevoir son questionnement. Il m’importe beaucoup que mes sculptures puissent entrer dans ce champ.

Ce sens de la conception d’une sculpture et la valeur de chacune de ses étapes est un concept que je retrouve dans le mouvement support/surface qui accorde une importance égale au matériau, au geste créatif et à l’œuvre finale. Cependant, ce rapport entre le support et la surface m’est toujours apparu comme appelant plus de complexité dans l’interaction de ces deux éléments.

En céramique, nous pouvons appréhender par exemple le vase comme contenant, support du décor et réceptacle du bouquet qui est son contenu et qui donne sens au vase. Cet ensemble forme un tout. De cette manière je conçois mes sculptures comme des contenants, supports du décor et réceptacle d’émotion, ici l’étincelle de l’émotion se joue dans le dialogue entre la sculpture et son décor. L’émotion en puissance faisant partie de l’œuvre et n’ayant besoin que du spectateur pour devenir acte.

Avec autant de rigueur au préalable, le dialogue avec le décor doit ouvrir des espaces de liberté. C’est dans l’Art Baroque que j’ai trouvé une matière à faire dialoguer avec mes formes. Historiquement, il s’inscrit entre la Renaissance et les Lumières, et c’est dans l’émerveillement du foisonnement d’idées et de décors qu’émerge le barroco, une « bizarrerie ». Tout comme pour la forme, la référence à des symboles est exclue. Je n’ai donc conservé que l’ornementation. Ce sont ces volutes irrégulières qui ont en charge de se joindre aux lignes strictes de la sculpture.

Le décor doit se juxtaposer sans se confronter afin de créer un rapport poétique. C’est à cette fin que j’isole certains éléments d’ornementation pour en créer des motifs. Ceux-ci me permettent la déformation ou la répétition, ils deviennent une nouvelle matière à expérimenter. Formes et décors sont travaillés conjointement. L’étirement de l’un déformant l’autre et inversement. Il en est de même pour les couleurs, le plus souvent elles sont opposées, la seule nuance peut être apportée par une touche d’or que je veux être comme une pointe de sacré.

Au final, si une thématique générale devait émerger,
elle serait celle de notre humanité,
questionnant nos dualités et notre complexité.